A son corps défendant, un mineur est souvent l’objet principal d’une procédure judiciaire civile sans en être pour autant une partie. Afin qu’il ne soit pas privé complètement de voix le code civil et le code de procédure civile prévoient quelques moyens de lui permettre d’être un acteur, sans en devenir partie, de la procédure.
Le point de départ est l’article 388-1 du code civil :
« Dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement peut, sans préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son consentement, être entendu par le juge ou, lorsque son intérêt le commande, par la personne désignée par le juge à cet effet.
Cette audition est de droit lorsque le mineur en fait la demande. Lorsque le mineur refuse d'être entendu, le juge apprécie le bien-fondé de ce refus. Il peut être entendu seul, avec un avocat ou une personne de son choix. Si ce choix n'apparaît pas conforme à l'intérêt du mineur, le juge peut procéder à la désignation d'une autre personne.
L'audition du mineur ne lui confère pas la qualité de partie à la procédure.
Le juge s'assure que le mineur a été informé de son droit à être entendu et à être assisté par un avocat ».
Cette disposition reflète à l’échelle nationale un principe posé dans la Convention des droits de l’enfant du 20 novembre 1989, directement applicable devant les juridictions françaises :
« 1. Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.
2. A cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’un organisme approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale ».
Le critère fondamental est celui de la capacité de discernement du mineur ; l’obligation d’entendre le mineur ne joue que dans la mesure où il est capable de discernement ou s’il n’y a pas une urgence, qui doit être spécialement motivée par le juge (art. 375-3 code civil).
Par exemple, le juge doit procéder à l’audition du mineur capable de discernement pour l’ouverture d’une tutelle (art. 1236 code de procédure civile) ou pour prononcer une émancipation (art. 413-2 code civil).
Le juge des enfants, compétent notamment pour les questions d’assistance éducative, doit, entre autres personnes, entendre le mineur (art. 1182 code de procédure civile).
Dans les faits, quoique cette audition soit qualifiée d’obligatoire, elle est en fait à la discrétion du juge qui est seulement tenu d’une obligation de motiver son éventuel refus.
Dans ces cas de figure, le législateur incite fortement le juge à entendre le mineur. Cela constitue une diminution de l’obligation de motivation du refus pensant sur le magistrat.
L’exemple principal est celui de la matière de l’autorité parentale ; les parents sont en désaccords sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale – que ce soit dans le cadre d’un divorce ou non – et saisissent le juge aux affaires familiales pour trancher leur litige. L’enfant n’est pas partie à cette procédure mais il est directement concerné par celle-ci.
L’article 373-2-11 du code civil dispose que le juge doit prendre en considération les sentiments exprimés par un mineur capable de discernement. Dans une circulaire, le ministère de la justice a estimé que les magistrats doivent justifier les raisons pour lesquelles un enfant n’a pas été entendu[1].
Deux hypothèses sont ici envisagées : le mineur lui-même demande à être entendu ou une partie à la procédure fait cette demande.
-> Demande faite par le mineur
C’est un véritable droit pour lui de demander à être entendu (art. 388-1 code civil). Ce droit découle de la Convention des droits des enfants citée plus haut et a été intégré dans différents textes de droit interne par le législateur et le pouvoir règlementaire.
Par un arrêt du 18 mai 2005, pris au visa de la CIDE et des articles 383-1 et 388-2 du code de procédure civile, la première chambre civile de la Cour de cassation a jugé que :
« dans toutes les décisions qui concernent les enfants, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ; que lorsque le mineur capable de discernement demande à être entendu, il peut présenter sa demande au juge en tout état de la procédure et même, pour la première fois, en cause d'appel ; que son audition ne peut être écartée que par une décision spécialement motivée »[2].
Afin que le droit du mineur soit effectif, il faut s’assurer qu’il en soit informé. En pratique, cela prend la forme d’un formulaire rempli par un, ou les, parent qui atteste avoir informé ses enfants de la procédure et de leur droit à être entendus. Cela aboutit à des situations où la mise en œuvre du droit est, en pratique, dépendante de la bonne volonté d’un parent qui peut n’avoir aucun intérêt à l’audition de l’enfant.
Pour autant, il ne me semble ni possible ni souhaitable de trouver une autre solution. Les mineurs sont par définition des êtres en construction dont le discernement évolue au gré de leur âge, de leur éducation, de leur cercle social… Un parent est un intermédiaire entre le mineur et le monde. Dès lors que l’on n’a pas retiré l’exercice de l’autorité parentale ou l’autorité parentale au parent, il convient de reconnaître qu’il est, quelque soit la situation, le plus à même d’occuper ce rôle.
Il est possible de saisir le juge d’une violation de l’obligation faite à un parent d’informer un mineur. En pratique, cette prétention sera très difficile à prouver, surtout si le mineur en question est jeune.
Le mineur peut demander par tout moyen à être auditionné (art. 338-2 code de procédure civile) ; s’il en est capable, le mineur pourra donc contourner un parent censeur pour faire entendre sa voix dans la procédure le concernant. Le plus souvent cette saisine prend la forme d’un courrier rédigé par l’enfant ; un courrier dont la simplicité ou la naïveté est touchante dans le cadre d’un contentieux judiciaire et qui met en lumière la fragilité de l’enfant.
Cette demande peut être formulée à tout moment de la procédure, y compris pour la première fois en cause d’appel ou au cours du délibéré (entrainant en principe une réouverture des débats pour permettre le respect du contradictoire). Nous constatons donc l’importance qui est donnée à la voix du mineur.
Le mineur n’a que le droit de pouvoir demander à être auditionné, l’audition en elle-même est à la discrétion du juge. Cette décision doit être notifiée par tout moyen aux parties et les motifs de refus doivent être précisés dans la décision au fond[3]. Cette décision, comprise comme une simple mesure d’administration judiciaire, est insusceptible de recours, mais peut être censurée si elle n’est pas pleinement justifiée.
Le juge ne peut refuser l’audition que pour deux raisons limitativement énumérées par le code de procédure civile (art. 338-4, al. 1, code de procédure civile) :
-> Demande faite par une partie à la procédure
L’audition peut également être demandée par une partie à la procédure. Pour l’avocat, la difficulté est de déterminer si cette demande est opportune. Est-ce que faire entendre la voix du mineur justifie de prendre le risque d’être vu comme instrumentalisant l’enfant et l’impliquant inutilement dans la procédure judiciaire ?
Le juge pourra la refuser pour les deux raisons envisagées ci-dessus et s’il estime qu’elle n’est pas nécessaire à la solution du litige ou si elle lui paraît contraire à l’intérêt du mineur (art. 338-4, al. 2, code de procédure civile).
Si le juge fait droit à la demande de la partie, l’enfant peut refuser à être entendu et le juge pourra apprécier le bien-fondé de ce refus (art. 388-1 code civil).
La décision du juge de procéder à l’audition d’un mineur est une mesure d’administration judiciaire qui ne doit pas nécessairement être incluse dans un jugement ; ce peut être simplement mentionné au dossier ou au registre d’audience. En revanche, le juge est tenu de mentionner les motifs de son refus dans le jugement ou l’arrêt.
Le mineur est informé par une lettre simple envoyée par le greffe (art. 338-6 code de procédure civile).
Les parties doivent également être informées, afin de respecter le principe du contradictoire, mais sans que le code ne précise les modalités de cette information.
Une difficulté pratique importante est celle de l’accompagnement du mineur. Si l’âge et la maturité du mineur le permettent, celui-ci peut être entendu seul. Mais, il est généralement dans son intérêt que le mineur soit accompagné car les rouages judiciaires peuvent être difficiles à comprendre et les conséquences d’un faux-pas peuvent être importantes. Deux catégories de personnes peuvent accompagner l’enfant :
Le mineur est entendu par le juge ou par une personne à qui il a délégué cette mission et qui lui rendra, dans la majorité des cas, un rapport écrit ; généralement un travailleur social ou un psychologue. En principe, l’audition devrait prioritairement être faite par le magistrat mais dans les faits cela dépend de la pratique de chaque cabinet étant donné qu’il n’y a aucune sanction.
« Dans le respect de l'intérêt de l'enfant, il est fait un compte rendu de cette audition. Ce compte rendu est soumis au respect du contradictoire » (art. 338-12 code de procédure civile).
En l’absence de précision dans le texte légal, ce compte-rendu peut prendre la forme souhaitée par le magistrat : oral ou écrit par exemple.
Plus fondamentalement, la question qui se pose est celle de l’intérêt de l’enfant alors que l’existence d’un écrit reprenant des paroles dont il ne mesurait pas la portée pourrait lui être opposée à l’avenir. Certaines juridictions font des comptes-rendus oraux, devant les parties ou leurs représentants qui pourront alors formuler des observations, afin qu’il n’y ait pas au dossier de document reprenant la parole de l’enfant. Mais une telle solution, qui permet de garantir l’intérêt de l’enfant et le contradictoire, est souvent rendue impossible par l’engorgement de la justice. Nous recevons le plus souvent un compte-rendu écrit inscrit au dossier qui pourra être réutilisé par la suite au risque que la voix de l’enfant soit pervertie.
En conclusion, la voix de l’enfant est essentielle dans de nombreuses procédures et tout particulièrement dans celles relatives aux modalités de l’autorité parentale ou à l’assistance éducative. Un équilibre difficile doit être trouvé entre la protection du mineur – y compris de sa jeunesse et de son innocence – et le respect des principes procéduraux d’une bonne justice.
Un avocat expérimenté dans ces matières est à même de vous accompagner pour la construction d’une stratégie gagnante respectueuse de toutes les parties prenantes.
[1] 16 mars 2007, la Direction des affaires civiles et du sceau (DCAS) adoptait une circulaire relative à l'audition de l'enfant pour l'application du règlement « Bruxelles II bis » concernant les décisions sur la responsabilité parentale (BO Min. Justice, NOR : JUSC0720262C
[2] Cass. 1re civ., 16 févr. 2022, n° 21-23.087
[3] Cass. 1re civ., 16 févr. 2022, n° 21-23.087